Alors quoi ? On fait quoi maintenant ? On continue comme si de rien n’était ? On poursuit inlassablement cette course à l’inutile, à l’absurde, dans une frénésie de possessions illusoires ? C’est quoi le but ? Quitter un jour cette terre en nous disant qu’au fond tout ce à quoi nous avons oeuvré était vain ? Que la seule trace que nous y laisserons est celle de la dévastation ? Ou bien partirons-nous rejoindre les étoiles avec la conscience d’avoir contribué à nourrir le monde de notre lumineuse énergie d’amour ?
J’entends déjà les sarcasmes s’élever au milieu de cette cacophonie incessante : que vient-elle nous parler d’amour alors que ce monde est empli de haine ? Et si nous décidions justement de transformer notre regard ? Ce que je perçois de ce monde, n’est-il pas simplement le reflet de ces ombrageux tourments dont je me repais nuit et jour dans l’illusion de n’en être aucunement responsable ? Ai-je envie de continuer à vivre en passant mon temps à me sentir victime de ce que l’autre m’a fait ou dit ? Autant de questions qui me traversent à l’heure où il me semble ressentir l’urgence de continuer à oeuvrer encore et encore à ma propre transformation face à un monde coupé en deux : d’un côté l’illusion d’une croissance matérielle infinie, de l’autre la conscience du danger à continuer d’y croire. Et en mon for intérieur, l’éclatante intuition quant à la nécessité de revenir au coeur de cette source dans laquelle baigne l’énergie du vivant, cet infini océan dont chaque être sur cette terre serait une goutte de ma propre substance.
Nous grandissons avec l’idée que nous sommes séparés les uns des autres, séparés de la nature, séparés par des frontières terrestres dont nous prenons bien soin de veiller à leur inaccessibilité, frontières qui n’ont d’existence que parce que nous voulons bien leur en conférer une… C’est le mythe de Prométhée, qui symbolise la connaissance donnée à l’homme et le sépare de fait des autres êtres vivants, sur lequel notre civilisation s’est construite et s’appuie encore aujourd’hui. Mythe dans lequel le don du feu attribué par Prométhée aux humains, n’est pas sans conséquence puisque Zeus se venge via l’intervention de Pandore qui ouvre une jarre contenant la maladie, la vieillesse, la mort et le travail.
Comment ne pas y voir une corrélation avec le mythe d’Adam et Eve chassés du Paradis, dont la punition finale, la rude condition des hommes, est liée à la responsabilité d’une femme ? Chassés de l’univers des Dieux, les humains sont désormais réduits à tenter d’utiliser leurs savoirs pour asseoir leur sentiment de supériorité vis-à-vis des autres espèces, créant des sociétés patriarcales en représailles à ce féminin coupable pour eux de leur chute, et utilisant tous leurs pouvoirs pour être un jour reconnus comme des dieux sur l’Olympe. Caricatural ? Pas tant que ça…
Quelle société avons-nous créé ? Une société basée sur l’idée d’une verticalité de la condition humaine, où certains hommes se prenant pour des dieux, manoeuvrent autant qu’ils le peuvent pour asseoir leur pouvoir (aujourd’hui procuré par l’argent) et où le féminin n’a toujours pas la place qu’il devrait incarner en ce monde. Et tout est mis en oeuvre pour que nous continuions à croire à ce scénario… Scénario qui ne fonctionne bien sûr que parce que nous lui donnons le pouvoir de perdurer. Seulement, il ne tient qu’à moi de cesser d’y croire et d’oser réintégrer mon propre pouvoir en occupant la place qui me revient au sein du vivant : celle d’un être parmi les êtres, accueillant à coeur ouvert non pas l’autre dans sa différence, mais simplement l’autre parce qu’il me ressemble, parce que l’énergie qui le nourrit est la même que celle à laquelle je m’abreuve. Le « moi » n’est-il pas un leurre puisque d’emblée il me sépare ?
Point de révolte ici, ce serait entretenir encore l’énergie actuelle. Juste l’idée d’une insoumission personnelle qui m’offre d’installer ma sécurité intérieure pour asseoir ma liberté. Cela demande du courage car il me faut d’abord accueillir mes propres ombres. Mais derrière l’ombre, n’y a t-il pas inéluctablement la lumière ?
« Le courage est le moteur d’une entrée dans le monde » nous dit Cynthia Fleury, au sens d’oser une « rupture », « commencer une nouvelle histoire, celle de la liberté, celle de la justice, celle de l’amour. » (La fin du courage, Cynthia Fleury, Editions Fayard, 2010)
Il me semble urgent aujourd’hui de recontacter cet amour en nous afin de le rayonner et d’être en capacité d’arpenter ce monde à coeur ouvert.
De cet espace là, tout est en paix.
Je suis le vivant, non plus le « survivant » et ma seule contribution consiste à prendre soin de cette source on ne peut plus sacrée.